Biographie de l’auteur :

Article écrit par Logan Liut, ambassadeur du Français pour l’avenir sélectionné pour le FNJA 2020. Défenseur du changement social, de la préservation des droits des francophones, des arts et de la culture et de la protection des personnes LGBTQIA2+, ses engagements comprennent un siège au Conseil des jeunes de la circonscription Toronto—St Paul’s; la défense des intérêts franco-ontariens auprès du Toronto Catholic District School Board; et la fondation, avec d’autres ambassadeurs, d’un réseau littéraire canadien-français. Il entame actuellement sa dernière année d’enseignement secondaire à St Michael’s Choir School, à Toronto.


Je me souviens avoir été dans mon cours de français et m’être demandé : « Pourquoi suis-je ici ? Qu’est-ce que ce cours ajoutera à ma vie quotidienne ? » Je ne savais pas que quelques années plus tard, cela aurait un impact énorme sur le cours de ma vie. En tant qu’anglophone, j’ai entendu mes pairs et ceux de ma société et de ma province proclamer à maintes reprises leur mésestime pour l’éducation en français: qu’elle était redondante, sans rapport avec notre société et parfois même une perte de temps dans les écoles anglophones. Je ne sais pas si ces gens sont ignorants de la culture francophone au Canada, ou bien anglo-suprémacistes, mais, selon moi, ils ont tort.


À mon avis, ne pas apprendre le français, ou à tout le moins ne pas respecter les droits linguistiques et la culture francophone, est un abandon des valeurs canadiennes, de la nation canadienne et de l’histoire canadienne. On entend souvent cette rhétorique des politiciens qui disent que les programmes d’éducation francophone ou les programmes de français dans les écoles anglophones sont trop chers ou trop spécialisés pour justifier le faible budget qui y est alloué. Mais, je pose une question à ces gens : y a-t-il un prix sur la culture, le patrimoine et l’histoire? Dans l’affirmative, la liberté a-t-elle un prix? Si la réponse est oui à l’une de ces questions, alors selon moi, la vie ne peut pas être appréciée ou chérie, mais est uniquement une transaction : on peut ainsi la voir comme un simple jeu de survie et de cupidité au détriment de notre héritage. Je refuse de croire que l’expérience humaine est si simple, ni maintenant, ni jamais.


L’argument en faveur d’une éducation francophone complète commence par la menace qui entoure notre nation. C’est un problème de frontières, de géographie, mais aussi un problème qui concerne l’écran même sur lequel vous lisez ceci, la télévision que vous regardez, la radio que vous écoutez, le journal que vous lisez. Le lien du Canada avec les États-Unis a créé une situation délicate pour les francophones: nous sommes entourés de médias sociaux américanisés et anglicisés, de programmes de télévision, de sociétés de presse, d’émissions de radio, de chaînes YouTube, de créateurs de contenu TikTok et de bien d’autres moyens de médias et de divertissement qui sont majoritairement anglophones. Cela signifie que les communautés anglophones du Canada ont été presque entièrement assimilées – la plupart du temps sans que les gens s’en aperçoivent, comme ici à Toronto – dans une société américanisée. Cela signifie que la société canadienne, au sens anglo-canadien du terme, a pratiquement, sinon totalement, disparu, surtout dans les zones urbaines. Or, cette langue, le français, nous protège de l’assimilation. Nos médias sont, en effet, plus indépendants et donc la culture est mieux préservée. Cette seule raison est suffisante, je crois, pour encourager la maîtrise du français chez tous les Canadiens. Si nous parvenons à soustraire le Canada anglophone de la société américanisée dans laquelle elle est profondément enracinée, nous pourrions rétablir la culture et l’héritage uniques de cette nation, et empêcher que notre tissu national ne devienne trop intimement lié à celui des États-Unis.


La langue française est également une langue plus diversifiée que l’anglais. Les organisations soutenant la langue française, comme l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), sont beaucoup plus fortes que celle du monde anglophone. Les liens avec l’Afrique, l’Europe, l’Amérique du Nord, les îles du Pacifique et le monde entier ne sont pas forgés dans un sens néocolonial mais dans l’effort de protéger une langue dont la portée est si large et si diversifiée qu’elle peut briser les barrières du racisme, du sexisme, de l’homophobie, de la transphobie et de la misogynie si ces liens sont utilisés correctement. Notre avenir, en tant que nation, n’est pas forgé avec ce que nous faisons à l’intérieur mais avec ce que nous faisons à l’extérieur. Cette possibilité à elle seule est une raison suffisante que nous devrions tous être bilingues. Si le français peut être utilisé comme moyen de diplomatie, comme c’était le cas dans le passé, qui ne devrait pas l’apprendre? Le français était autrefois connu comme la langue de la diplomatie européenne et il est toujours connu comme la langue de l’amour ; nous devrions donc l’utiliser pour améliorer le monde et montrer notre amour, notre partenariat, notre volonté de progresser vers un monde plus égalitaire.


Par ailleurs, la raison la plus importante de prioriser une éducation en français est qu’on peut utiliser la langue française pour enseigner, génération après génération, l’histoire, la culture, le patrimoine et l’âme de cette nation. Rien ne peut expliquer les grandes valeurs canadiennes de compromis, d’égalité, d’acceptation, de tolérance, de diversité et de multiculturalisme que l’utilisation de la langue française. Je n’ai jamais rencontré une seule personne bilingue qui ait eu une part de haine envers les autres groupes de personnes ; c’est parce qu’apprendre une nouvelle langue, c’est apprendre une nouvelle culture. Et apprendre à être Franco-Ontarien pour moi a signifié renoncer à mon privilège en tant qu’anglophone et rejoindre volontairement un groupe minoritaire. Sachant maintenant comment une minorité se sent contre la volonté d’une majorité, je ne pense pas que je pourrais un jour avoir de la haine envers les autres personnes. Comprendre la diversité d’une manière si intime est, je crois, la clé de ces mots célèbres de la Révolution française : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Cette fraternité change les esprits, pénètre l’âme même de l’individu d’une manière trop profonde pour être décrite avec des mots. Connaître l’histoire et la lutte de ceux qui vous ont précédé devient une partie de vous, irremplaçable. La douleur et le triomphe de vos ancêtres, que ce soit par le sang ou par l’adoption, restent avec vous de la manière la plus intime et la plus spéciale qui soit.


Et donc, chers lecteurs et lectrices, voici toutes les bonnes raisons pour lesquelles la valeur de la langue française est irremplaçable et qu’il est primordial de l’apprendre. Lorsque nous parlons d’apprendre la langue française, nous ne parlons pas simplement d’apprendre la grammaire et les mots: nous apprenons une culture, nous acquérons une nouvelle appréciation de l’histoire et du patrimoine de notre nation. Lorsque nous faisons un effort pour rejoindre nos communautés francophones, et que nous sommes enfin à un moment de notre cheminement où nous nous sentons confiants de pouvoir être acceptés, nous acquérons une nouvelle culture, un nouveau patrimoine. Nous pouvons ressentir la douleur et le triomphe de cette communauté, comme si c’était la nôtre depuis le début ! Et que ce soit la nôtre au départ, ou que nous l’ayons rejoint grâce à nos efforts, c’est la même relation intime entre nous et l’histoire dont nous avons hérité. Dans la société d’aujourd’hui, devenir francophone peut sembler être un déclassement ou rejoindre une minorité alors que vous pourriez rester dans la majorité. John Stuart Mill nous rappelle dans son livre, De la liberté, que beaucoup de gens, comme moi, considèrent comme l’une des plus grandes œuvres connues de l’humanité sur la liberté de l’être humain :

« Justement parce que la tyrannie de l’opinion est de nature à faire de l’excentricité un reproche, il est souhaitable, pour briser cette tyrannie, que les gens soient excentriques. L’excentricité a toujours abondé quand et où la force de caractère a abondé; et la quantité d’excentricité dans une société a généralement été proportionnelle à la quantité de génie, de vigueur mentale et de courage moral qu’elle contenait. Que si peu osent maintenant être excentriques, c’est le principal danger de l’époque. »

Nous apprenons le français pour apprécier le passé; la relation intime entre nous, nos ancêtres et le tissu de la nation; mais aussi pour le présent et pour l’avenir, pour préserver, défendre et protéger le peuple canadien de l’assimilation à une société trop américanisée et de l’oubli de qui nous sommes.


Enfin, je vous laisserai avec ceci, une autre citation du livre que je lis en ce moment, De la liberté de John Stuart Mill :

« Celui qui laisse le monde, ou sa propre portion de celui-ci, choisir son plan de vie pour lui, n’a besoin d’aucune autre faculté que celle du singe de l’imitation. Celui qui choisit son plan pour lui-même emploie toutes ses facultés. »

Choisissez d’employer toutes vos facultés : allez à contre-courant de l’américanisation de l’expérience canadienne et la standardisation de l’expérience humaine. Choisissez le français pour l’avenir !

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