Peut-être croyez-vous que les langues ne sont qu’une forme de communication? Comme un programme informatique, seul le contenu importe: la manière dont sont exprimées les idées n’a aucune importance. Après tout, le «tu» ou le «vous» formel en français, c’est le même concept que «you» en anglais, ou en presque n’importe quelle langue: la deuxième personne, à laquelle tu t’adresses directement. À la fin, le mot n’est qu’une étiquette: une boîte qui, quelle que soit son apparence, contient le même concept clé.


Andrei LiBiographie de l’auteur: Andrei Li est un élève de 11e année à l’école Monarch Park à Toronto. Il est passionné par les sciences; il parle le français et l’espagnol, et est en train d’apprendre l’allemand. Dans son temps libre, il s’occupe en lisant et en écrivant, en faisant de la natation, et en jouant de la flûte. Son aliment préféré est le sushi.

À la différence des gens du passé, nous n’avons pas forcément besoin d’apprendre une langue pour avoir accès à son contenu, vu que la grande majorité des textes dont nous avons besoin—écrits, oraux—sont disponibles en une large sélection de langues. Les services de traduction en ligne, tels que Google Translate, nous offrent l’opportunité de comprendre ces concepts objectifs quand ils sont exprimés en une langue qu’on ne connaît pas. Problème résolu, non?

Ou est-ce vraiment le cas?

Même si toi, tu te vois comme une seule version de toi-même, chaque personne te voit de manière distincte. Tu pourrais être un·e étranger·ère ou un proche, un·e professeur·e ou un·e employeur·euse, un membre de la famille, une moitié d’un couple. Tu pourrais être le type qui fréquente quotidiennement ce restaurant-ci, l’entraîneur·euse de volley-ball de ce camp d’été-là, etc.

Ce que nous savons du monde vient de nos sens. L’information est collectée et acheminée à notre cerveau pour être reconstruite en une représentation mentale. Comme disait Descartes, la réalité n’est que le produit de notre imagination. Et l’imagination, c’est un chef qui ne crée jamais un plat similaire à ceux de ses homologues. Même si un concept objectif est conservé entre langues, nous ne pouvons pas en dire de même de ses interprétations subjectives.

En voici quelques exemples:

La direction du temps

Le temps? Vous songez peut-être: mais ça n’a rien à voir avec la langue! Après tout, une heure en français a la même durée qu’une heure en anglais, et de même qu’une heure sur une horloge numérique.

Songeons-y un peu plus. Imaginons la progression d’un événement, comme le grandissement d’un arbre, genre BD.

Allez-y, dessinez-le.

Le résultat?

C’est probable que vous l’ayez dessiné de gauche à droite, et si vous n’aviez pas assez d’espace, de haut en bas. Mais pourquoi ainsi? Pourquoi pas de droite à gauche, ou de bas en haut (pensez aux colonnes), ou même en diagonale?

Rappelez-vous que le français (et toutes les autres langues dites de racine latine) est écrit de gauche à droite et de haut en bas. Nous sommes accoutumés à la présentation d’idées séquentielles dans cet ordre, l’écoulement du temps en étant une. Au point que c’est ainsi que nous imaginons la flèche temporelle.

Ce test a été effectué sur des personnes ayant d’autres langues maternelles que des langues latines. Chez les arabes, où on écrit de droite à gauche, c’était dans cette direction qu’on visualisait le mouvement du temps. Ou de haut en bas, chez les Chinois. Ou même en montant la colline, pour le peuple Yupno de la Papouasie Nouvelle-Guinée.

Les moments dans le temps

Ce n’est pas seulement le concept du courant temporel qui varie entre langues, mais aussi celui des moments dans le temps. En français, maintenant, c’est maintenant. Mais en espagnol, on peut dire «ahora» ou «ahorita». Le dernier voulant dire «maintenant», tout en laissant un peu d’espace pour l’interprétation. Si quelqu’un vous dit qu’il va faire quelque chose «ahorita», préparez-vous à attendre une minute, une heure, possiblement plus . . .

De plus, en français, c’est clair quand on se réfère au passé, au présent, ou au futur. Nous avons les temps verbaux qui indiquent, très clairement, la position temporelle d’un objet. Saviez-vous qu’on ne fait pas cette distinction en chinois? On doit déduire quand quelque chose s’est produit, en se basant sur le contexte. De plus, on se réfère aux moments passés comme étant «devant le présent», et les moments futurs comme étant «derrière». Nous savons ce que nous avons devant nous, juste comme nous sommes conscients de ce qui s’est déjà déroulé. De la même façon, nous ignorons ce qui se trouve derrière nous, comme nous ignorons ce que le futur nous réserve.

La cardinalité

Sachez qu’en arabe, la cardinalité n’est pas restreinte au singulier et au pluriel, comme en français. Il y a une catégorie grammaticale de plus, dédiée aux situations où on se réfère à deux objets. On peut dire qu’il y a une pomme, deux pommes, ou plusieurs pommes, etc., en changeant le pronom, la terminaison d’un nom, ou la conjugaison d’un verbe.

En chinois, par ailleurs, il n’y a même pas de pluriel! Une fois de plus, on se laisse guider par le contexte.

La famille

En français, la famille traditionnelle est très simple à décrire: mère et père, grand-mère et grand-père, oncle et tante, cousin(e)s, etc. Les frères et sœurs sont distingués par leurs âges relatifs: benjamins, cadets, et aînés. Mais beaucoup de langues, comme l’arabe et le chinois, divisent encore plus la famille. Nous trouvons des mots spécifiques pour les cousins et les oncles/tantes en fonction du côté de la famille (maternel ou paternel) et même une distinction, en chinois, entre les petits frères et sœurs, et les grands frères et sœurs.

On emploie aussi, dans ces langues et d’autres, les «équivalents» de frère et soeur, oncle et tante, etc., pour s’adresser avec des différents niveaux de respect aux étrangers. Tandis que chez les francophones, on n’utilise que le «tu» et le «vous», et seulement «you» chez les anglophones.

Les concepts spécifiques à/importants pour une culture

Des fois, certains mots représentent une idée tellement spécifique que d’autres langues doivent se contenter d’emprunter ce mot. On dit «Internet» en français, en espagnol, et même en arabe, même si c’est un mot d’origine anglaise. Grand nombre de ces mots populaires de la «nouvelle ère», et d’autres, sont transférés à une autre langue. Parfois, c’est parce qu’il n’y a pas un mot comparable dans cette dernière langue qui suffit à communiquer les nuances intentionnées. D’autres fois, c’est parce que la culture associée à cette langue d’origine a beaucoup d’influence sur la culture de la langue qui est changée—les anglicismes en sont un bon exemple.

Les langues évoluent aussi par elles-mêmes. Considérons les verbes irréguliers, qui comptent parmi les mots les plus communs en français. Il y a très longtemps, c’est probable qu’ils suivaient les mêmes règles que leurs homologues réguliers. Leur utilisation constante les changea en une forme plus simple ou plus naturelle. On identifie ainsi les concepts les plus importants de la culture associée.

Conclusion

La langue, c’est beaucoup plus qu’une forme de communication. C’est une manière d’exprimer des nuances: des façons de penser, de percevoir notre environnement. Une manière qui varie entre cultures, et qui est non seulement affectée par comment nous pensons; mais aussi comment nous voyons nos alentours.

Dans le monde moderne, grâce aux traducteurs et aux logiciels en ligne, les secrets de chaque langue peuvent paraître à portée de main. Apprendre une nouvelle langue pourrait sembler de moins en moins nécessaire pour interagir avec d’autres cultures. La vérité ne pourrait pas être plus éloignée. Si nous voulons nous comprendre entre nous, nous devons commencer en apprenant la manière dont les autres comprennent le monde.

Lecture complémentaire

The Place Where Time Flows Backward

How Some Words Get Forgetted


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